
Philippe Solms
Aujourd'hui retraité, a été actif dans le domaine de la durabilité, principalement pour des employeurs publics et associatifs. L'habitat coopératif et participatif a occupé une place majeure dans le cadre de son engagement au sein de l'Association écoquartier Lausanne.
- Cet auteur n'a pas d'autres publications.
L’article ci-dessous paraitra dans la revue Habitation 3-2025 – www.habitation.ch
Les coopératives d’habitation les plus dynamiques sont régulièrement à l’origine de nouvelles solutions et stratégies face au défi de la transition. Les champs d’expérimentation s’élargissent, les savoir-faire progressent et les coopérations se multiplient. Retour sur quelques exemples genevois.
Dans le paysage genevois des coopératives d’habitation, plusieurs d’entre elles se distinguent par une culture de l’innovation et des engagements allant souvent au-delà de leurs propres projets. On voit ces coopératives accompagner la création d’autres coopératives, on les trouve au départ d’initiatives d’intérêt général, on les découvre actives dans des partenariats porteurs, et même à l’origine d’entreprises nouvelles. Dès lors, au-delà des cas singuliers, pourrait-on conclure à l’existence d’un environnement général propice, constitué par le maillage des coopératives les plus dynamiques, et qui fonctionnerait à la manière d’un cercle vertueux ? Une sorte de joyeux vivier où les accomplissements se diffuseraient en ouvrant la voie à de nouvelles avancées ? Mais ne spéculons pas et posons des exemples.
Assainir les eaux et se chauffer
Dès sa création, la coopérative équilibre a voulu limiter au maximum l’impact environnemental de ses réalisations. Entre autres expérimentations, elle a innové en matière de toilettes et de traitement des eaux usées. Dès sa deuxième construction, elle a amélioré et diversifié les solutions d’assainissement – l’enjeu étant notamment de répondre aux contraintes induites par la taille des bâtiments urbains. L’exemple de son immeuble Soubeyran – 5 étages sur rez – atteste des défis relevés. La gestion des eaux usées commence à la source, par la séparation des eaux noires (provenant des toilettes) et grises (provenant des lavabos, douches, etc.). L’épuration s’opère au pied du bâtiment et recourt à des filtres organiques (lombrifiltres) et minéraux. Une fois les eaux assainies, elles sont réutilisées pour les chasses d’eau et l’arrosage. Le cycle reproduit les processus biologiques naturels, et son efficacité permet d’éviter tout rejet vers les égouts. Un exploit ! En 2020, après une petite dizaine d’années d’expérimentations réussies, les compétences accumulées par équilibre et les pionniers du domaine ont amené à la création d’aneco, une structure professionnelle autonome. Celle-ci fait aujourd’hui référence en matière d’assainissement et de valorisation écologique des eaux usées. En fonction des sollicitations et des défis qui subsistent, aneco est à la fois active en matière d’accompagnement de projets, de sensibilisation et de recherche.

Ce qui est un déchet est transformé en ressource. Dans un data center que rien ne rapproche des solutions portées par aneco, c’est pourtant ce même principe clé de l’écologie qui est mis en œuvre. En l’occurrence, la chaleur produite par les serveurs du data center est récupérée pour répondre aux besoins des immeubles du quartier où il se situe. La chaleur n’est pas perdue, elle est valorisée. Inauguré au début de cette année, le data center a été réalisé par Infomaniak dans les sous-sols de la coopérative de la Bistoquette. Le data center est dimensionné pour accueillir jusqu’à 10’000 serveurs et il se distingue par son efficacité énergétique. Pour Infomaniak, son installation dans les locaux d’un immeuble résidentiel est une première. Si cette cohabitation logements-data center fait figure de banc d’essai, Infomaniak se déclare toutefois déjà intéressé à renouveler l’aventure avec d’autres acteurs de l’habitat.
Se déplacer
Très tôt, certaines coopératives d’habitant-es ont développé leur propre système d’autopartage. Dans une perspective d’optimisation, la faisabilité d’un système commun a toutefois été mise en discussion dans le cadre d’APRÈS-Ge, le réseau de l’économie sociale et solidaire. La réflexion a conduit à la création de Comob, une structure regroupant APRÈS-Ge, les coopératives Codha, équilibre et la Bistoquette, ainsi que les quatre acteurs de la mobilité En Voiture Simone, Roues libres, Comobilis et l’association 2Roues Genève. Sur le terrain, le projet vient de débuter : en 1ère phase, il s’adresse aux habitant-es s’installant à la Bistoquette.
La plateforme numérique de Comob propose l’accès à des véhicules partagés, voitures et vélos-cargos. La facturation au kilomètre n’intègre pas la durée et convient donc particulièrement à la mobilité de loisir. Le parc de véhicules intègrera progressivement les flottes des partenaires, tel que Codhality, et s’étoffera en privilégiant les achats d’occasion. Destiné aux membres des coopératives avant de viser un public plus large, le projet est appelé à se développer en plusieurs phases, quartier par quartier. Et à moyen terme, Comob a également prévu de tester un système de pair-à-pair, c’est-à-dire permettant à des particuliers de mettre à disposition leur véhicule contre rémunération.
Se nourrir et consommer autrement
L’idée de créer une filière alimentaire de quartier est née d’une rencontre entre un paysan retraité, des coopératives d’habitant-es et le maire d’une petite ville qui n’avait pas peur des projets un peu fous. C’est ce que dit la BD Nourrir un quartier, une planète, publiée pour marquer les 10 ans de l’aventure. Rappel : la filière alimentaire des Vergers, à Meyrin, est constituée de la Ferme des Vergers, de la Coopérative des ateliers paysans, du supermarché participatif La Fève et de l’Auberge des Vergers. Elle s’inscrit dans un quartier de 3000 habitant-es et revendique une perspective globale de transition. Les objectifs sont ambitieux : il s’agit de couvrir toutes les étapes allant de la production à la consommation, de privilégier l’agriculture paysanne et les circuits courts, de promouvoir une alimentation durable et saine et de faire participer les habitant-es au fonctionnement de la filière. Le développement et les activités de la filière ont largement mobilisé les membres des coopératives d’habitation du quartier – Voisinages, équilibre et la Codha notamment. En écho à la vision portée par la filière, équilibre a même adopté en 2023 des dispositions statutaires relatives à l’alimentation. Entre autres points : pour tout nouvel immeuble, le membre auquel est attribué un logement doit souscrire un abonnement au projet d’approvisionnement alimentaire en circuits courts proposé par la coopérative. Toutefois, malgré les fidèles de l’habitat coopératif, la filière reste fragile et peine à attirer un public élargi. Le fonctionnement participatif de La Fève, par exemple, freine souvent celles et ceux qui n’ont pas l’habitude de s’impliquer. Cet aspect illustre bien les réticences que peuvent susciter les pratiques qui modifient les habitudes dominantes en matière de consommation – cela même quand ces pratiques sont porteuses d’amélioration socio-économiques et environnementales.
Consommer en privilégiant l’achat d’abonnements dans les domaines où la contractualisation fait sens, c’est ce que propose le projet Locali. S’abonner plutôt qu’acheter un bien peut, en effet, constituer un levier décisif pour réduire l’empreinte carbone de la consommation et pour réorienter celle-ci vers le tissu économique local. Mais privilégier un abonnement demande un changement d’habitude qui apparait très souvent comme rédhibitoire. Ainsi, avec ses « abonnements découverte », Locali vise surtout à proposer un test de courte durée aux personnes hésitantes – les chances étant ensuite plus grandes de les voir souscrire un abonnement standard. La formule Locali couvre différents domaines : l’alimentation, les objets et vêtements, et bientôt la mobilité – avec Comob. Les abonnements découverte donnent par exemple accès à des paniers de produits frais, à une bibliothèque d’objets, à des services de retouches de vêtements, etc. La plateforme en ligne locali-ge.ch présente l’ensemble des offres et permet de passer commande. Les abonnements renvoient aux prestataires sources, fédérés par APRÈS-Ge pour aller ensemble au-devant du public le plus large possible.
Se réjouir de l’étendue des possibles
Les quelques exemples ci-dessus ne sont pas représentatifs des nombreuses expériences stimulantes pouvant être citées. Ils ne disent pas non plus si le dynamisme des coopératives relève d’interactions ou circonstances systémiques particulières. Mais ils témoignent bien de la multiplicité des trajectoires d’innovation. Et ce faisant, ils invitent à se réjouir de l’étendue des possibles.
Pour les curieux
• Association aneco https://an-eco.ch
• Infomaniak https://news.infomaniak.com/infomaniak-inaugure-un-data-center-revolutionnaire-qui-revalorise-100-de-son-energie-pour-chauffer-des-batiments/
• Coopérative Comob https://comob.coop
• Nourrir un quartier, une planète. BD téléchargeable depuis https://www.cooperative-equilibre.ch/projets-alimentaires/
• Projet Locali https://locali-ge.ch