Regarder ce qui se passe? Ou refiler la patate chaude au suivant?

Jean-Bernard Billeter

Association Noé 21
Ingénieur EPFZ et traducteur
Responsable FCC-CERN

Soucieux de maintenir sa prééminence en physique des particules, le CERN – l’extraordinaire centre de recherche installé à cheval sur la Suisse et la France – mise sur un Futur Collisionneur circulaire, le FCC. Qu’en pense le Conseil fédéral?


Le tunnel qui l’abriterait partirait de Meyrin, passerait sous le lac, contournerait le Salève, chatouillerait le Vuache, se glisserait sous le Rhône vers le Jura, puis rejoindrait Meyrin. 91 kilomètres. Le plus gros ouvrage de génie civil d’Europe des prochaines décennies. Les travaux commenceraient en 2030.

Deux machines s’y succéderaient, le FCC-ee (quelques millions de tonnes) exploité une quinzaine d’années, puis le FCC-hh (quelques millions de tonnes) exploité jusqu’à la fin du siècle.

Coût ? Plusieurs dizaines de milliards de francs à charge des 23 Etats-membre européens et autres pays qui y enverraient des équipes de chercheurs.

La recherche fondamentale qui y pourvoirait n’a aucune application directe; tel n’est pas son but.

Quant aux effets sur les habitants du Grand-Genève, oui, il y en aurait! Huit années de forage, des montagnes de matériaux d’excavation, cinq années d’installation pour le FCC-ee, puis de nouveau cinq années pour le FCC-hh, véritable objectif pour lequel le projet est dimensionné.

Après la mise en service des installations, le CERN consommerait autant d’électricité qu’une ville de plusieurs centaines de milliers d’habitants. 700’000 habitants pour le FCC-hh!

L’empreinte carbone de tout cela? Le CERN publie des chiffres assez effarants sur ses activités actuelles (recherche: « Rapport environnemental CERN »), mais rien pour le moment sur son projet. Dans les milliers et milliers de pages publiées sur le FCC, jamais, jamais la question climatique n’est abordée frontalement et traitée sérieusement!

On ouvre les yeux tout rond.

Qu’en disent nos conseillers fédéraux?

En charge du dossier, Guy Parmelin prépare un « plan sectoriel » devant faciliter la réalisation du projet en lui accordant toutes sortes de dérogations! Tout en expliquant qu’il est prématuré de s’inquiéter.

De son côté, le président de la Confédération Alain Berset répondait bizarrement à la TSR: « Si on ne se donne pas les moyens ensemble de mieux comprendre l’Univers dans lequel on vit et si on ne se donne pas les moyens… parlez de quelques dizaines de milliards… c’est donc énormément d’argent… mais si on regarde ce qui se passe sur la planète, en fait c’est quelque chose qu’on doit tout à fait envisager de pouvoir donner à la recherche fondamentale. »

Si la Suisse « regarde ce qui se passe sur la planète », elle doit évidemment se distancer de ce projet. D’une part pour ne pas tourner ses engagements climatiques au ridicule. D’autre part parce que, vu sa démesure, les réactions qu’il suscite et les crises successives auxquelles nous n’échapperons pas, il est probable que ce méga-projet, même s’il est accepté et le chantier ouvert, n’arrivera jamais à terme.

Mieux vaudrait que les conseillers fédéraux signalent dès maintenant que la Suisse ne souhaite pas la réalisation du FCC. Ce serait plus responsable que de refiler la patate chaude à leurs successeur·es.

Jean-Bernard Billeter, ingénieur EPFZ

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