Pierre Meyer
Au cœur de l’été, des Jeux olympiques de Paris et des températures caniculaires, le 30 juillet, une nouvelle glaçante est parue dans le quotidien Le Monde* : « Les puits de carbone terrestres, composés des forêts et des sols, ont massivement chuté en 2023. Ils n’ont que très peu capté de CO2 (…) ». Les scientifiques, à l’origine de ce constat, avancent deux raisons principales pour expliquer ce phénomène aussi inattendu qu’alarmant. Il s’agit avant tout des incendies gigantesques qui ont ravagé le Canada et la Sibérie, ainsi que les sécheresses longues et répétées qui ont notamment affecté l’Amazonie, qui expliquent cet effondrement, momentané, peut-on espérer. Jugez plutôt. Alors que, bon an mal an, les forêts et les sols de la planète ont absorbé 7,3 milliards de tonnes de CO2 en moyenne cette dernière décennie, le chiffre est tombé entre 1,5 milliards et 2,6 milliards en 2023, après une année record en 2022 avec 9,5 milliards de tonnes de CO2 ! Or, les puits de carbone terrestres jouent un rôle majeur puisqu’ils absorbent jusqu’à 20% des émissions humaines.
S’il devait se renouveler durant les années à venir, ce déficit abyssal compliquerait d’autant la lutte contre le réchauffement climatique que cela aboutirait à renforcer fortement la concentration de CO2 dans l’atmosphère, comme cela a été le cas en 2023 avec une progression de 86% !! par rapport à 2022.
L’inquiétude des scientifiques est particulièrement palpable, car, selon l’un des auteurs de l’étude, « si cet effondrement se reproduisait dans les prochaines années, nous risquons d’observer une augmentation rapide du CO2 et du changement du climat au-delà de ce que prévoient les modèles ».
On comprend mieux l’ampleur du risque que, dans le même temps, les océans ont parfaitement, et heureusement, joué leur rôle d’éponge à carbone (le puits de carbone océanique absorbe quelque 25% de nos émissions) et que les émissions liées aux activités humaines ont peu augmenté en 2023 (entre +0,1% et +1,1%). Cela dit, les canicules marines sont de plus en plus fréquentes (comme ces dernières semaines en Méditerranée), ce qui affaiblit le rôle de pompe à carbone des océans et la tendance de nos émissions est toujours à la hausse !
Dans les faits, la panne des puits de carbone terrestres de 2023 constitue un nouvel avertissement. Face au possible emballement du réchauffement climatique, il n’est plus temps de tergiverser : nos responsables politiques et économiques doivent urgemment, et de façon socialement équitable, s’engager à réduire les émissions de carbone liées aux activités humaines.
C’est-à-dire que, sans un effort coordonné et massif des nations les plus riches et les plus industrialisées de la planète pour diminuer fortement les émissions de gaz à effet de serre, l’évolution du climat pourrait échapper à tout contrôle.
La forêt et les sols viennent de nous délivrer un message limpide : prenez vos responsabilités ! Nous, on fait ce qu’on peut…
Pierre Meyer
* « Les puits de carbone terrestres se sont effondrés en 2023 », Le Monde, 30 juillet 2024L