Dr Jean Martin
René Longet, bien connu en Suisse romande et au-delà, ancien parlementaire fédéral, engagé dans la vie civique, civile et associative, est une des voix et des plumes qui s’expriment dans les médias sur les enjeux auxquels nous sommes gravement confrontés, s’agissant de la durabilité de notre mode de vivre, produire et fonctionner – biodiversité, dérèglement climatique, leurs relations avec l’économie, entre autres.
Il publie dans l’excellente collection « Savoir suisse » la quatrième édition de son livre intitulé à l’origine « Planète, sauvetage en cours ». Sous une forme ramassée, c’est un ouvrage substantiel sur les multiples dimensions des défis. Beaucoup de faits, chiffres, références ; sur l’état des lieux, les mesures déjà prises – insuffisantes – et les perspectives. Un ouvrage complet, bien structuré, nourrissant.
Il vaut la peine de mentionner les titres des sept parties: 1) Gros temps sur la planète; 2) La durabilité: reprendre le contrôle; 3) Trente ans d’engagements internationaux; 4) La transition: un combat, 5) Pour une économie écologique et sociale, 6) La durabilité au niveau national: la Suisse en question, 7) La durabilité, un humanisme pour notre temps. Enfin une importante bibliographie.
Des points qui ont particulièrement retenu mon attention :
– L’auteur commence par évoquer, ce n’est pas fait assez, les rapports compliqués entre développement et environnement. Logiquement, l’un et l’autre devraient aller de pair mais souvent il n’en est rien. S’agissant de développement, on pense beaucoup trop en termes quantitatifs et non qualitatifs – critères de type PIB. Si développement se résume à croissance, il est de suite confronté à la nature et aux limites de la biosphère. Plus avant, le développement ne fait trop souvent rien pour la réduction des inégalités, la Grande Plaie de notre monde. Pour la moitié environ des habitants de la planète, les besoins de base ne sont pas adéquatement satisfaits alors que, avec une autre vision, d’autres modalités de gouvernance, nous en aurions à l’évidence les moyens.
– A propos des ressources et de l’accent mis aujourd’hui dans les efforts de sensibilisation sur le Jour du dépassement (Overshoot Day), un sous-titre : « La Terre ne peut donner que ce qu’elle a » (p. 20 ss.). Formule à rappeler, à disséminer.
– Rappel nécessaire : « Art du bon usage de notre Terre, le développement durable n’a pas pour origine première une approche environnementale. A sa source se trouvent les aspirations des pays du Sud, dans le sens d’une exigence de justice » (p. 37).
– Parmi les démarches initiales (qui n’ont pas été suivies d’effets suffisants et suffisamment rapides), est rappelée la Commission mondiale sur l’environnement instituée en 1986, présidée par la Norvégienne Gro Harlem Brundtland. Son rapport « Notre avenir à tous » (1987) le soulignait : « Il n’y a pas une crise de l’environnement, une autre du développement, une autre énergétique. Non, de crise il n’y en a qu’une » (p. 47). Le fait est qu’on a plus que jamais besoin de réfléchir et travailler en termes systémiques.
– J’ai été particulièrement intéressé par la section « Aux sources philosophiques de la durabilité » (p. 57), à propos de qui sont les esprits qui depuis le début du 20e siècle, ont élaboré les réflexions et visions, piliers de l’émergence d’une pensée écologique substantielle, qui nous nourrissent aujourd’hui.
– Dans la partie 3, l’ouvrage décrit les démarches au cours des décennies pour que le dérèglement climatique reçoive l’attention qu’il nécessite impérativement, et pour que soient mises en œuvre des actions correctrices. Avec un inventaire des conventions, accords déclarations y relatives au niveau international – dans le cadre des Nations Unies le plus souvent.
– « La transition vers la durabilité n’a jamais été un long fleuve tranquille. Trop souvent réduite à une simple juxtaposition de l’économie, de l’écologique et du social, elle a été privée d’une bonne partie de son mordant » (p. 103).
– Edgar Morin dressait en 2012 un tableau sévère de la classe politique qui, pour lui, « n’a plus de pensée, plus de culture. Privée de pensée, elle s’est mise à la remorque de l’économie qui croit résoudre les problèmes par la compétition » (contre toute évidence ! – remarque de J.Martin) (p. 106).
– A la partie 4, est présenté l’état de la mise en œuvre de l’Agenda 2030 des Nations Unies (adopté en 2015) et ses 17 Objectifs de développement durable (ODD). Le rôle que pourraient jouer les peuples autochtones (si on le leur laissait jouer), avec leurs valeurs et leurs modes de vie proches de la nature et de la sobriété, est relevé aux pages 109-110.
– « L’un des côtés frustrants de l’Anthropocène est que, bien que nous ayons davantage de pouvoir pour influencer notre avenir, nous n’avons pas nécessairement plus de contrôle sur celui-ci » (p. 113).
– Une dimension évidemment nécessaire, impérative : « Etre durable dans sa vie personnelle » (p.121).
– Sous le titre « La nature travaille pour nous » (p. 126), Longet souligne à combien juste titre l’importance des services écosystémiques que la biosphère nous rend. Page 135, une section « Pour une économie de l’utilité, de l’inclusion et du bien commun » (juste ce qui ne va pas se passer aux Etats-Unis pendant plusieurs années ! – cette analyse est rédigée au lendemain de la réélection de Donald Trump). Puis on traite d’économie circulaire, de commerce équitable, d’économie sociale et solidaire, de finance durable. Sur ce dernier point, un exemple crasse du négationnisme chez certains : « Certains États américains ont proscrit les approches durables, réactivant la doctrine selon laquelle la seule mission d’une entreprise serait d’assurer le meilleur rendement financier aux investisseurs ».
– La partie 6 traitant de la Suisse décrit les évolutions récentes ici en rapport avec le besoin de durabilité. Notamment la Stratégie pour le développement durable 2030, adoptée par le Conseil fédéral en 2021. Comme ailleurs cela ne va pas assez vite mais les choses bougent néanmoins. Avec l’édition 2023 du Code suisse de bonnes pratiques », la faîtière Economiesuisse se rallie prudemment à la shareholder value, en disant: « L’activité est durable lorsque les intérêts des différentes parties prenantes dans l’entreprise sont pris en considération et que les objectifs économiques, sociaux et écologiques sont poursuivis dans leur ensemble. » (p. 174). Les enjeux et efforts nécessaires dans l’agriculture et le bâtiment sont discutés.
– Dans la conclusion : « Une société qui se fonde sur des énergies non renouvelables sape ses propres bases. Le modèle des Trente Glorieuses ne tient plus ses promesses (…) Plus récemment, s’est ajoutée une nouvelle donne : la montée des régimes autoritaires. L’adhésion à la manière forte se répand, centrée sur l’égoïsme national et sans pitié pour la nature » (p. 185).
L’ouvrage est intitulé « Les réponses de la durabilité » et il faut vivement espérer qu’on va permettre rapidement à la durabilité de donner ses réponses. Comme mot de la fin et en dépit d’un avenir proche qui n’apparaît pas très riant, l’auteur de cette recension a envie de reprendre la formule que les Grands-parents pour le climat – Suisse, dont René Longet est un ami, ont mis en exergue, en novembre 2024, alors qu’ils fêtaient leurs 10 ans : « On continue ! ». On continue malgré toutes les difficultés, voire menaces sur notre (sur)vie. En réalité, il n’y pas d’autre chemin.
René Longet
Planète, état d’urgence – Les réponses de la durabilité
Lausanne: Savoir suisse (4e éd. mise à jour). 2024, 208 pages