Economie du donut : pour une planète vivable

Dr Jean Martin
Médecin en santé publique, ancien médecin cantonal vaudois, membre de la Commission scientifique de GPclimat Suisse | Plus de publications

Dans le cadre des Conférences Dubochet, instituée par l’Université de Lausanne (Unil) en 2017 pour le récipiendaire du Prix Nobel, c’était, le 19 février dernier, au tour de l’inventrice des Doughnut Economics, la Britannique Kate Raworth, de s’exprimer. Avant d’être enseignante à l’Université d’Oxford, elle a travaillé pour le PNUD et a été chercheuse à Oxfam (organisation pour le développement très respectée). Depuis la parution de son ouvrage « La théorie du donut : l’économie de demain en 7 principes » (Plon, 2018), elle est mondialement connue.

Les limites du PIB

Son modèle entend assurer pour tous une existence digne, entre un plancher social indispensable (répondant aux besoins fondamentaux) et un plafond déterminé par la durabilité écologique. Plafond qu’il s’agit donc de ne pas dépasser, dans l’activité d’une société/région du globe, en respectant les limites planétaires. Dans la foulée l’auteure insiste sur l’importance de remplacer le sacro-saint PIB comme étalon de la performance économique.

Joignant les actes à la parole, Kate Raworth a parlé par vidéo, évitant un vol supplémentaire, après sa venue à Davos lors du WEF de janvier. Exposé novateur, éclairant, d’une personnalité charismatique, sérieuse et/mais souriante. L’éloignement n’a rien enlevé à la vivacité du propos et du débat qui a suivi, avec Camille Gilloots, du Centre de compétences en durabilité de l’Unil, et Julia Steinberger, une auteure principale du dernier Rapport du GIEC (l’oratrice a fait référence aux travaux majeurs de Julia Steinberger et ses collègues sous le titre « Living Well Within Limits »).

Pour un modèle résilient

Kate Raworth souligne donc l’inanité, dans les circonstances actuelles, du Produit Intérieur Brut (PIB), qui comptabilise comme productives, par exemple, les ressources dédiées à la limitation et réparation/traitement des pollutions et autres externalités négatives de l’activité humaine ! Comme le modèle (néo-)libéral dont il est issu, le PIB ne répond pas aux exigences de transparence et surtout de pertinence de notre temps anthropocène, il est urgent de passer à autre chose. Et de fustiger le fait que la grande majorité des Facultés d’économie et Business Schools restent accros aux lois du marché à l’ancienne, au mantra de l’offre et de la demande.

A propos des échanges dans un monde globalisé, elle parle d’esclavage moderne importé » (!), avec notre exploitation des ressources, humaines et d’autres natures, dans les pays du Sud. L’économie est au service des humains et des sociétés, insiste-t-elle ; ce devrait être son unique mandat, qui n’inclut pas le profit maximum par (presque) tous les moyens. Rappelant que les doctrines économiques sont une science humaine, prosaïquement humaine, basée pour une part sur des croyances, il importe de prendre conscience de ce que nos façons de penser et cadres de référence ont été formatés par les théories et pratiques du siècle dernier. « Nous devons mettre en place un dispositif économique pour le XXIe siècle », évoquant son modèle comme une « boussole pour la prospérité ».

Assemblées citoyennes

Plus avant, l’oratrice rompt une lance pour qu’on avance sur plusieurs fronts vers des modalités de « gouvernance et prise de décisions participative ». Ainsi la mise en place d’assemblées citoyennes, qui apportent des éclairages différents sur les problématiques qui leur sont soumises, permet de sortir du cadre (« think out of the box »), comme l’a montré en France la Convention citoyenne sur le climat. L’objectif : explorer « de nouvelles manières d’être et de faire qui soient ‘régénératives’ », soit résilientes et susceptibles de se renouveler sans épuiser les ressources.