La transition énergétique n’est-elle qu’une illusion ?

Jamais l’humanité n’aura extrait et brûlé autant de charbon qu’en…2023, soit 8,53 milliards de tonnes !! (Et on peut en dire autant du pétrole et du gaz). En cause, l’appétit insatiable de nombreux pays, en Asie notamment, pour l’acier, le ciment, le plastique et les engrais, toutes industries reposant essentiellement sur le charbon et émettant quelque 25% du CO2 mondial.

Cette débauche de charbon n’étonne guère l’historien des sciences Jean-Baptiste Fressoz. Dans un récent ouvrage, intitulé « Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie »*, l’auteur tord le cou à deux notions pourtant très présentes dans le débat public : celle de la substitution d’une ancienne source d’énergie par une nouvelle venue (le bois est remplacé par le charbon, qui est lui-même remplacé par le pétrole, etc.) et celle de « phasisme », qui considère que l’âge du charbon a succédé à celui du bois, comme l’âge du pétrole a succédé à celui du charbon, ou encore l’âge atomique aurait succédé à celui du pétrole.

Cette façon de découper l’histoire de l’énergie en tranches, prétendument homogènes, est totalement fausse, insiste Jean-Baptiste Fressoz, non seulement parce que les nouvelles formes d’énergie ne substituent pas aux anciennes, mais qu’elles s’additionnent (par empilement), mais encore parce qu’elles opèrent les unes, les autres en symbiose, c’est-à-dire qu’elles sont à la fois intriquées et interdépendantes. Pour l’auteur, « l’enjeu est immense car ces relations symbiotiques expliquent la permanence des énergies primaires jusqu’à nos jours et constituent des obstacles majeurs sur le chemin de la décarbonation ».

L’analyse proposée par Fressoz, qui remonte aux origines de la révolution industrielle en passant en revue toutes les sources d’énergie qui l’ont accompagné jusqu’ici, est particulièrement décapante, et très documentée. Elle repose notamment sur un paradigme essentiel : l’auteur choisit en effet de remettre en perspective les valeurs relatives de chacune des énergies composant le mix énergétique pour s’attacher à mettre en lumière leurs poids respectifs en valeurs absolues. Ainsi, même si la place du charbon dans le mix est effectivement en baisse continue, cela ne signifie pas que les quantités de charbon extraites soient elles en train de s’amenuiser, bien au contraire.

« Le nouveau ne fait pas disparaître l’ancien », insiste Jean-Baptiste Fressoz, une idée, « pour ce qui concerne le climat et l’environnement [qui] est entièrement et totalement réfutée par l’histoire des matières ». Il rejette également le hochet de l’innovation qui « est en réalité une simple échappatoire, une tactique de procrastination », notamment parce que les « innovations technologiques n’ont, jusqu’à présent, jamais fait disparaître un flux de consommation matérielle ».

Autant dire que Jean-Baptiste Fressoz se méfie de la transition énergétique, pas parce qu’il est opposé aux énergies renouvelables, mais parce que le terme de transition est trompeur, puisqu’il ne reflète nullement la réalité des flux de matières énergétiques qui s’additionnent, se combinent, mais ne se soustraient pas. Et de regretter, dans une interview au Monde, que, « à cause de la transition, la décroissance a été laissée à l’état de friche intellectuelle des économistes ».

*Editions du Seuil, 2024, 407 pages

Pierre Meyer