Le bilan carbone suisse explose

Pierre Meyer
Journaliste, membre du comité de gpclimat-ge.ch | Plus de publications

Chaque année, on guette le Jour du dépassement, soit le jour où l’humanité a déjà consommé toutes les ressources que la terre est en mesure de produire en un an. En 2024, c’était le 1er août. Le Jour du dépassement se décline aussi, pays par pays (selon la quantité de gaz à effet de serre (GES) produite à l’intérieur de leurs frontières respectives), les plus riches et les plus industrialisés figurant en amont dans le calendrier, comme le Qatar ou le Luxembourg dont les dates tombent en… février.

A cette aune, l’empreinte carbone de la Suisse apparaît relativement modeste comparée au bilan d’autres nations comparables. Notre pays se situe dans le ventre mou du classement de ces pays avec un Jour du dépassement 2024 fixé au 27 mai, soit 13 jours plus tard qu’en 2023. Un score qui peut paraître honorable, même si, rappelons-le, notre mode de vie – non-durable – nécessite toujours de consommer, chaque année, les ressources de 2,5 planètes pour fonctionner.

Il est communément admis que c’est grâce à une production électrique, fondée sur l’énergie hydraulique et le nucléaire, largement décarbonée, que la Suisse fait bonne figure. L’argument est convaincant, certes, mais est-il suffisant ?

Un rapport rendu public le 18 novembre par le cabinet conseil Carbone 4 et la Fondation européenne pour le climat, relayé par le quotidien Le Monde, montre, de fait, que l’empreinte helvétique est grandement sous-évaluée. Ce rapport place en effet la Suisse loin en tête de tous les pays de la planète pour ses émissions de GES si l’on additionne ses émissions internes (celles comptabilisées le Jour du dépassement) ET ses émissions importées (tout en prenant soin de retrancher ses émissions exportées).

Ainsi, toutes les émissions induites par la fabrication en Chine d’un microprocesseur qui sera vendu en Suisse sont pour l’instant comptabilisées dans les émissions chinoises. Ce qui signifie que les émissions liées au commerce international sont largement et sciemment occultées, notamment pour ne pas nuire à la compétitivité des échanges.

Or, selon le rapport de Carbone 4, « un quart des émissions planétaires sont ainsi « importées », c’est-à-dire produites par des pays pour satisfaire la demande d’autres pays ». Une tendance qui, de plus, ne cesse de croître.

D’après un graphique présenté et calculé par Le Monde, la part des émissions importées dans l’empreinte carbone de la Suisse est de 80% (!!) contre 20% d’émissions nationales. Une proportion énorme qui, dans cette nouvelle hiérarchie, place la Confédération devant la Norvège (70%), le Luxembourg, la Suède ou l’Autriche, et bien au-delà de la France (52%) ou de l’Allemagne (49%), voire des Etats-Unis (30%).

Sources: Carbone4, European Climate Foundation, Eurostat, calculs Le Monde

Voici une nouvelle perspective qui rebat considérablement les cartes et montre que l’importation sans limite de biens de production et de consommation peut peser très lourd dans le bilan carbone de certains pays, dont le nôtre. Ce qui accroît d’autant leur responsabilité dans le combat contre le réchauffement climatique et leur impose de mettre un frein à leur boulimie de consommation.