Cap sur l’économie circulaire

Pierre Meyer
Journaliste, membre du comité de gpclimat-ge.ch | Plus de publications

La Suisse se targue d’être championne dans l’art du recyclage. Si c’est en partie vrai pour les bouteilles en verre, en pet et les canettes en aluminium, elle en est, en revanche, encore loin en ce qui concerne tous les autres déchets qu’ils soient liés à la consommation de masse (électroniques ou vêtements notamment) ou encore à l’industrie, à la construction et aux services.

Cette apparente contradiction n’en est pas une. Car si les filières du verre, du pet et de l’aluminium sont valorisées c’est parce que ces biens sont clairement identifiables et homogènes et qu’ils se situent, ni plus, ni moins, dans le prolongement de l’économie extractive linéaire, actuellement ultra-dominante dans le monde. Economie qui repose sur le postulat extraction-fabrication-utilisation (la plus courte possible)-élimination. Une logique qui n’a cessé de s’accélérer ces dernières décennies, pour aboutir aux aberrations du tout jetable et du non-réparable (fast-fashion, obsolescence programmée, etc.) poussées dans ces derniers retranchements par un marketing agressif et irresponsable.

Face à ce monstrueux gaspillage de ressources (matières premières et énergie), le recyclage n’apparaît dès lors que comme un pis-aller. « La tendance à se focaliser sur le recyclage s’explique sans doute, car c’est la stratégie qui remet le moins en cause la logique linéaire et les modes de production et de consommation qui en découlent », soulignent ainsi Dunia Brunner et Nils Moussu dans un récent et excellent ouvrage « L’économie circulaire Agir pour une Suisse durable », (Collection Savoir suisse, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2023, 166 pages). Pis-aller, illusoire de surcroît, puisque le recyclage donne l’agréable impression aux consommateurs d’être vertueux, alors que la pratique ne fait qu’avaliser l’usage unique des objets. Un aspect qui n’est qu’une des manifestations, faussement perçue comme indolore, d’un projet économique dévastateur qui exerce une prédation implacable sur toutes les ressources de la planète.

Pourtant, les cris d’alarme se succèdent. Deux articles parus coup sur coup dans le quotidien Le Temps fin mars en attestent. Intitulés, l’un « Alerte au tsunami de déchets électroniques » (21 mars) et l’autre « L’économie circulaire : impérative, urgente, et résolue ! » (22 mars), ils attirent l’attention sur la nécessité d’un changement radical de la logique économique linéaire vers une conception, autrement plus respectable des ressources (rappelons finies) de la planète, en convertissant la production, l’utilisation et le traitement des déchets selon les principes durables de l’économie circulaire.

Cette dernière ne consiste pas seulement à valoriser au maximum les déchets, mais à intégrer, dès la conception de ceux-ci, leur capacité à être utilisés de façon durable et à produire des déchets dont les composants puissent être réutilisables, afin d’entrer dans de nouveaux cycles de fabrication.

Face à ce défi, la Suisse est au pied du mur. Mais elle en a désormais les moyens depuis l’adoption, ce printemps, par les Chambres de l’initiative parlementaire « Développer l’économie circulaire en Suisse ». Cette dernière crée de nouvelles bases légales visant à boucler les cycles des matériaux, prolonger la durée de vie et d’usage des produits ainsi qu’à instaurer une utilisation efficace des ressources. Il reste au Conseil fédéral à agir vite et efficacement.

Pierre Meyer