Pierre Meyer
Le séisme provoqué par le jugement de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH), rendu début avril à Strasbourg et condamnant la Suisse pour inaction climatique, ne cesse d’engendrer des répliques. Au plus haut niveau, puisque la majorité de droite au Conseil des Etats, puis au Conseil national, n’a pas eu de mots assez durs pour fustiger une décision jugée biaisée d’une instance « politisée ».
Je ne sais si les Ainées pour le climat, auteures du recours à Strasbourg, s’étaient attendues à une telle levée de boucliers, mais elles sont parvenues à lever un lièvre de taille, celui de la mauvaise foi climatique d’un vaste éventail des élus et élues de droite. Avec un suffisant dédain, la NZZ n’a-t-elle pas souligné l’aspect non-coercitif de l’arrêt : « Que signifie-t-il pour la Suisse ? En bref, pas grand-chose » !!
La vénérable gazette a-t-elle oublié de consulter ses juristes ? En tous les cas, elle a sciemment et à dessein voulu jeter la confusion entre le jugement « contraignant » de la CourEDH, selon de nombreux juristes et non des moindres, pour toutes les autorités suisses et la marge de manœuvre qui appartient au pays pour mettre en œuvre le jugement, tout en étant tenu à atteindre les objectifs qu’il s’est lui-même fixé. Notamment ceux des Accords de Paris auxquels la Suisse a souscrit.
Est-ce que le Conseil fédéral qui, lui aussi, doit se prononcer durant l’été sur la décision de la CourEDH sifflera la fin de la récréation ? Sera-t-il l’adulte dans la pièce ? L’avenir le dira.
Au-delà de la polémique, cette même droite parlementaire a poussé le bouchon un cran plus loin, en déclarant tout de go que la Suisse en faisait assez sur le plan environnemental. Quelle autosatisfaction, alors que le pays est à peine au milieu du gué en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
Certes, depuis 1990, les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 24% (chiffre 2020) sur le territoire suisse, un effort non négligeable étant donné la croissance économique et démographique. Mais un effort qui repose quasi exclusivement sur une amélioration de l’efficacité énergétique de la plupart des activités exercées en Suisse. Notons à cet égard que si le secteur du bâtiment a réduit ses émissions de 44% depuis 1990, les normes de construction ayant joué un rôle majeur dans cette évolution, c’est moins brillant dans l’industrie (-27%) et dans les transports (-8%). D’autre part, les résidents ont toujours besoin de 2,8 planètes pour assurer leur train de vie, si l’on ne considère que les émissions internes de gaz à effet de serre, et pas moins de 6 à 7 planètes, si l’on prend les émissions internes et externes (importations). Dès lors, en fait-on vraiment assez ?
Ainsi, la Suisse demeure encore très éloignée de l’objectif de réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (dans six ans !) et de viser le zéro net d’ici 2050. Désormais, on entre dans le dur, phase la plus difficile où des décisions fortes et socialement responsables devront être prises. Mais le seront-elles alors que la seule neutralité qui ne soit pas revendiquée par nos élites politiques majoritaires est bien celle de la neutralité carbone ?
Pierre Meyer