Fable boursière

L’information surprend. La société Meyer Burger, spécialiste suisse et européen des panneaux photovoltaïques haut de gamme, reconnue loin à la ronde comme un fleuron technologique, est en plein marasme boursier. Depuis juillet dernier, son action ne cesse de dégringoler, passant de 60 centimes à 9 centimes, mi-janvier 2024.

Voici qui interroge, alors que le solaire a le vent en poupe, que jamais autant de panneaux n’ont été installés en Suisse en 2023. Comme c’est sans doute le cas dans toute l’Europe où la transition énergétique est en plein essor afin de décarboner, autant que se peut, le secteur immobilier, qui pèse lourd dans l’empreinte CO2.

Dans un tel contexte, Meyer Burger ne devrait-il pas cartonner, vu que la société répond, semble-t-il, parfaitement aux besoins et aspirations de l’époque ? Du point de vue boursier, il n’en est rien. Selon les analystes cités par Le Temps, l’entreprise souffre d’un double handicap : ses panneaux sont trop chers – difficile en effet de concurrencer les panneaux chinois, moins performants certes, mais vendus à perte, alors que Pékin s’arroge un quasi-monopole mondial – ; d’autre part, son modèle d’affaires repose en partie sur les subventions publiques, indispensables pour accélérer la transition énergique. Deux facteurs rédhibitoires pour les marchés financiers…

En face, Shein, le mastodonte, également chinois, de la « fast fashion ». Son entrée en bourse prévue en 2024 fait déjà saliver les investisseurs du monde entier. Pensez donc : on évoque une capitalisation de 90 milliards de dollars !

Cet empire, dont on dit qu’il a inventé « la mode avion », en référence à sa course effrénée aux nouveautés (plus de 6000 par jour) et au transport aérien utilisé pour mieux coller à la demande, se distingue par la piètre qualité de ses produits, fabriqués dans des conditions indignes, par un gaspillage indécent de matières premières et par la surconsommation, au cœur de son modèle. La clé du succès : des prix extrêmement bas qui font d’autant plus mouche que le consommateur subit, désemparé, la chute inexorable de son pouvoir d’achat.

Chercher l’erreur ! De fait, il n’y en pas… Dans la logique boursière, seul compte la performance et le profit maximal. Un système implacable, mais surtout incapable de prendre en considération les externalités négatives (pillage des matières premières, transports à prix bradé, conditions de travail indécentes, etc.) ou l’utilité sociale et environnementale de tel ou tel produit ou service.

Face à un tel rouleau compresseur, une autre finance, verte et socialement responsable, peine à exister. Une finance qui viserait à promouvoir le développement de solutions pérennes, tenant compte des limites planétaires et des besoins fondamentaux de la population mondiale.

Mais, pour cela, les règles doivent changer. Une régulation s’impose qui verrait les Etats, comme pour la taxation minimale des multinationales, adopter des instruments destinés à fixer le « vrai » prix des produits et services, en fonction de leur pertinence sociale et environnementale. Une dimension qui reste totalement étrangère au marché boursier !

Pierre Meyer (aucun lien, d’aucune sorte, avec l’entreprise Meyer Burger)